CHAPITRE NEUF

Dame Estelle Matsuko, chevalier de l'Ordre du Roi Roger et commissaire résident affecté aux affaires planétaires de Méduse au nom de Sa Majesté Élisabeth III, reine de Manticore et défenseur du Royaume, se leva de son bureau lorsque la porte de son cabinet coulissa. Le grand commandant de marine qui la franchit se déplaçait avec la grâce et la puissance que donne une musculature accoutumée à une gravité beaucoup plus forte que les 0,85 g de Méduse, et les yeux verts du chat sylvestre perché sur son épaule regardaient tout avec intérêt. Dame Estelle examina ses deux visiteurs avec une curiosité semblable mais discrète, tout en tendant la main.

« Commandant Harrington...

  Commissaire... » L'accent sec, haché, de l'officier donnait une indication aussi évidente de son monde d'origine que son chat sylvestre ou sa manière de se déplacer, et sa poignée de main était ferme mais soigneusement contrôlée. Dame Estelle avait eu la même impression en serrant la main à d'autres Sphingiens – et les rares qui avaient oublié de surveiller leur poigne lui avaient inspiré de la reconnaissance envers ceux qui y pensaient.

« Voulez-vous vous asseoir ? » fit dame Estelle lorsque le commandant relâcha sa main; en même temps, elle prenait mentalement une foule de notes.

Honor ne manquait pas d'assurance et dame Estelle haussa l'estimation de son âge d'environ cinq ans; c'était une femme au visage frappant, pâle avec des traits puissants et de grands yeux expressifs presque aussi noirs que les siens; sous le béret blanc, elle portait les cheveux coupés plus courts que la plupart des hommes et il émanait d'elle une nette aura de compétence et de professionnalisme. On était loin, se dit le commissaire, des officiers de seconde zone dont la Flotte se débarrassait chez elle, surtout depuis que Janacek dirigeait l'Amirauté. Pourtant, elle percevait une tension sous la discipline d'Harrington, comme un malaise. Elle crut d'abord à un tour de son imagination, mais un examen plus minutieux du compagnon du commandant la détourna de cette idée : le chat se montrait certes curieux de ce qui l'entourait, mais son corps élancé était tendu, trahissant la méfiance, et dame Estelle avait assez vu de ces chats pour déchiffrer l'attitude protectrice de sa queue enroulée autour du cou d'Harrington.

« Je dois avouer, commandant, avoir été assez surprise par le départ soudain de Lord Young », dit-elle, et elle cilla presque devant la réaction de sa visiteuse. Elle n'avait fait cette remarque que dans le but d'engager la conversation, or l'effet qu'elle eut sur Harrington fut profond : pas un seul de ses muscles ne bougea, mais c'était inutile : ses yeux parlèrent pour elle, étrécis, durs au point d'en être effrayants; quant au chat, il fit preuve de beaucoup moins de réserve : il se retint de justesse de feuler, mais ses oreilles aplaties et ses crocs à demi découverts ne laissaient guère place au doute sur ses émotions, et dame Estelle se demanda ce qu'elle avait dit de mal.

Puis Harrington s'ébroua imperceptiblement, leva une main pour apaiser le chat et hocha poliment la tête à l'adresse du commissaire.

« J'ai moi-même été surprise, commissaire. » Elle parlait d'une voix de soprano froide et sans inflexion, avec une absence de passion parfaitement maîtrisée qui fit se dresser les antennes mentales de dame Estelle. « À ce que j'ai cependant compris, son bâtiment nécessitait un radoub plus urgent qu'on ne le pensait à Manticore quand mon navire s'est vu affecté ici.

  Je n'en doute pas. » Dame Estelle ne parvint pas tout à fait à empêcher l'ironie de percer dans sa réponse, et Harrington inclina légèrement la tête de côté. Puis elle se détendit un peu et la tension du chat faiblit également. Tiens, tiens; ainsi, sa réaction ne provenait pas de la remarque de dame Estelle mais du sujet sur lequel elle portait. Eh bien, quelqu'un qui n'aimait pas Pavel Young ne pouvait pas être foncièrement mauvais.

« J'ai aussi été surprise – et ravie – d'apprendre que vous étiez prête à venir à mon bureau, commandant, reprit le commissaire. Nous n'avons hélas jamais eu l'étroite collaboration que j'aurais espérée avec la Flotte, surtout ces trois dernières années. »

Honor ne réagit pas mais acquiesça mentalement lorsque dame Estelle se tut comme pour inviter une remarque. « Ces rois dernières années », cela correspondait justement au laps de temps écoulé depuis que Janacek assumait les fonctions de Premier Lord, et la femme menue, au teint café au lait, assise derrière le bureau cherchait manifestement à savoir quelle importance Honor accordait à Basilic pour le Royaume. Le droit d'un officier d'active à critiquer ses supérieurs était limité, mais la relation d'Honor avec dame Estelle pouvait s'avérer cruciale pour la réussite ou l'échec de sa mission.

« Je suis navrée de vous l'entendre dire, dame Estelle, répondit-elle en pesant soigneusement ses termes, et je souhaite que nous parvenions à améliorer la situation. C'est un des motifs de ma présence ici; il s'agit naturellement d'une visite de courtoisie, mais les ordres initiaux qu'on m'avait donnés partaient du principe que Lord Young demeurerait sur place en tant que commandant, si bien que l'exposé qu'on m'a fait sur les conditions actuelles de Basilic était assez général. J'espérais que vous pourriez mieux éclairer ma lanterne et faire état d'éventuelles requêtes particulières. »

Dame Estelle inspira profondément et s'assit plus confortablement dans son fauteuil avec un soulagement manifeste –teinté, observa Honor, d'une bonne dose de surprise, surprise qui lui faisait plaisir et l'embarrassait à la fois. La réaction du commissaire à son explication lui donnait le sentiment d'agir comme il le fallait, pourtant ce qu'elle demandait constituait le strict minimum pour remplir ses obligations, et l'idée que la Flotte ait failli de façon si éclatante que le commissaire s'étonne de voir un officier accomplir son devoir lui faisait honte.

« Je suis très heureuse de vous entendre parler ainsi, commandant », dit dame Estelle au bout d'un moment. Elle inclina le dossier de son fauteuil en arrière, croisa les jambes, les mains sur le genou, et poursuivit d'un ton beaucoup moins circonspect : Je serai enchantée de vous apprendre ce que je sais, mais si vous commenciez par me raconter ce que vous savez déjà ? Ainsi, je pourrai combler vos lacunes sans vous ennuyer. »

Honor hocha la tête et fit descendre Nimitz sur ses genoux. Son corps longiligne avait perdu sa tension, indice manifeste que le commissaire lui plaisait; il se roula confortablement en boule et se mit à ronronner sous ses caresses.

« Je pense être tout à fait au niveau en ce qui concerne les opérations du nœud, madame, qui ne sont de toute manière pas de votre ressort, j'en ai bien conscience. Mon souci va plutôt à mes devoirs d'assistance et de sécurité ici, sur Méduse; mes données me semblent un peu dépassées, à en juger par le nombre de cargos en orbite. J'ignorais qu'il y avait tant d'échanges avec la surface planétaire.

  C'est un phénomène tout récent. » Dame Estelle fronça les sourcils, l'air songeur. « Savez-vous ce que sont les enclaves ?

  De manière vague seulement. Ce sont des comptoirs commerciaux, grosso modo, n'est-ce pas ?

  Oui et non. Aux termes de l'Acte d'annexion, le Royaume a pris possession du système dans son ensemble et établi un protectorat sur les Médusiens, tout en renonçant explicitement à toute souveraineté sur leur planète. En conséquence, ce monde !out entier constitue une immense réserve pour les indigènes, mis à part quelques sites bien précis retenus comme enclaves extraplanétaires. Ce n'est pas la procédure normale d'institution de la territorialité, mais le terminus du nœud nous intéressait davantage que les arpents de terrain de Méduse et la loi s'est efforcée de rendre cette distinction parfaitement claire; de fait, elle fait obligation au Royaume d'accorder aux Médusiens leur complète indépendance "dès que possible", ne serait-ce que pour manifester sans ambiguïté notre totale absence d'ambitions impérialistes. »

L'expression ne laissait aucun doute sur ce qu'elle pensait de l'Acte d'annexion.

« Le résultat immédiat de notre générosité, reprit-elle, c'est qu'on peut considérer notre position légale comme assez floue. Ille ou deux nations – tel Havre – soutiennent qu'un protectorat sans souveraineté n'a aucune valeur sur le plan du droit; selon cette interprétation des lois interstellaires – qui peut, je regrette d'avoir à le dire, s'appuyer sur des précédents tout à fait solides –, Méduse est un territoire non revendiqué et je n'ai nulle autorité pour donner des ordres aux extraplanétaires à sa surface. C'est entre parenthèses la position du consul havrien; le gouvernement de Sa Majesté exprime un point de vue différent, selon lequel possession vaut les neuf dixièmes de la loi, mais les clauses de l'Acte d'annexion délimitent précisément mes pouvoirs.

» Aux termes de mon mandat, je dispose de l'autorité pour prendre toute mesure nécessaire afin de "prévenir l'exploitation de l'espèce indigène", mais pas pour interdire ou autoriser la création d'enclaves par d'autres nations sur la planète. Je l'ai requise et je crois que le gouvernement voudrait bien me l'accorder, mais il n'a pas réussi à faire accepter les amendements indispensables au Parlement. Ainsi, je puis fixer les emplacements des enclaves, réglementer leurs échanges avec les Médusiens, bref, jouer les agents de police une fois qu'elles sont constituées, mais je ne puis leur interdire de se créer. »

Honor hocha la tête : les libéraux s'étaient tellement démenés à s'assurer que Manticore n'exploiterait pas les e infortunés aborigènes » qu'ils avaient laissé la porte grande ouverte à d'autres, moins scrupuleux.

« Enfin bref... » Dame Estelle fit doucement osciller son fauteuil d'un côté puis de l'autre et leva le regard au plafond, les sourcils froncés. À l'origine, le nombre d'enclaves était très réduit sur Méduse. Comme vous ne l'ignorez pas, les Médusiens en sont à peu près à l'équivalent de la fin de notre âge du bronze et, à part quelques objets véritablement magnifiques, ils ne produisent rien de grande valeur en termes de commerce interstellaire. Par conséquent, jusqu'il y a peu, il n'y avait guère d'intérêt à ouvrir des marchés planétaires et l'Agence de protection des indigènes ne rencontrait aucune difficulté.

» Cependant, au cours de mon mandat, la situation s'est modifiée, non pas tant à cause des échanges avec les Médusiens que parce que le volume de trafic qui passe par le terminus a augmenté. Il était inévitable, j'imagine, qu'un réseau de stockage et de distribution orbital apparaisse, étant donné qu'ici on peut transborder les cargaisons à moindre coût de main-d’œuvre et de frais de douane qu'à Manticore. Il existe naturellement d'autres raisons, ajouta-t-elle sèchement, et un tressaillement agita les lèvres d'Honor.

« Quoi qu'il en soit, bon nombre de maisons commerciales ont commencé à établir des bureaux locaux côté planète pour gérer leur part du réseau à mesure qu'il prenait de l'importance. De là sont nées la plupart des enclaves, et la plus grosse partie des moyens qui leur sont nécessaires doit leur être livrée de l'extérieur, si bien qu'un pourcentage considérable des échanges espace-surface est consacré à ces livraisons.

» Dans le même temps, les marchands étant ce qu'ils sont, ils out exercé une pression croissante pour pouvoir instaurer des échanges avec les Médusiens comme à-côté leur permettant de récupérer une part de leurs frais d'exploitation. Il s'agit d'un commerce à très petite échelle — pierres précieuses, art indigène, mousse tilik destinée au négoce des épices, de temps en temps une peau de bekhnor ou une cargaison d'ivoire, ce genre d'affaires —, mais les besoins des Médusiens sont si limités que leurs produits peuvent être extrêmement bon marché. Ils commencent difficilement à savoir fabriquer du fer passable et du mauvais acier, vous imaginez donc la valeur qu'ils accordent aux couteaux ou aux lames de hache en duralliage; ils prisent aussi les textiles modernes. En fait, ces pauvres diables se font dépouiller comme au coin d'un bois par la plupart des agents; ils n'ont aucune idée du coût ridicule auquel les articles qu'ils échangent reviennent aux importateurs, ni de la facilité avec laquelle ils risquent de devenir complètement dépendants de ces marchandises et des négociants qui les leur fournissent. Nous nous sommes efforcés le réduire le syndrome de dépendance en imposant des limites draconiennes au niveau de technologie que nous permettons l'introduire, mais notre ingérence déplaît autant aux Médusiens qu'aux extraplanétaires. »

Hie se tut et Honor hocha de nouveau la tête.

« Ce qui est particulièrement exaspérant, reprit dame Estelle avec vigueur, c'est que ce sont surtout les marchands manticoriens que la loi empêche de fournir aux aborigènes des objets nu-dessus du niveau d'une technologie à base d'énergie musculaire, par peur de les rendre dépendants de nous. Notez que je trouve cette limitation avisée, mais le résultat, c'est que nos propres ressortissants nous en veulent au moins autant que mains autres extraplanétaires, voire davantage, car notre présence devrait au contraire les rendre plus compétitifs. Du coup, nous avons le plus grand mal à nous faire une idée précise de ce qui se passe réellement : les Manticoriens eux-mêmes ne lèvent pas le petit doigt pour nous aider, si bien que l'API et le commissaire que je suis se retrouvent pour ainsi dire comme des étrangers sur une planète nominalement sous notre protection. Pire encore, je suis absolument persuadée que les "échanges avec les indigènes" servent de couverture à des trafics de marchandises illégales entre extraplanétaires – Manticoriens compris –, mais je suis incapable de l'empêcher, incapable de le prouver et, apparemment, incapable de réveiller les autorités centrales pour qu'elles se penchent au moins sur la question ! »

Elle se tut et desserra ses doigts crispés sur son genou, puis elle eut un petit rire sans joie. « Excusez-moi, commandant; je crois que je me suis laissé emporter.

  Ne vous excusez pas, commissaire. J'ai l'impression que votre liberté d'action est encore moindre que je ne le pensais.

  Oh, ce n'est pas aussi catastrophique que j'en ai parfois le sentiment, fit dame Estelle, son sang-froid revenu. La restriction physique imposée aux enclaves à un seul site central, ici, dans le delta, ajoutée à l'autorité que je détiens de contrôler l'usage de transports extraplanétaires en dehors de leur territoire limite la portée concrète des réseaux commerciaux. Cela n'empêche pas la contrebande entre extraplanétaires, si elle existe, et n'évite pas complètement l'afflux de marchandises extérieures chez les Médusiens, mais cela le ralentit et l'oblige à passer entre les mains de marchands indigènes avant d'aller vers des destinations plus lointaines. Et, à vrai dire, si je m'inquiète de l'impact de ce commerce sur les Médusiens, je m'inquiète encore davantage – en tant que représentante sur place de la Couronne – de ce qui peut se tramer sous la surface.

  Ah ? » Honor se redressa et Nimitz releva la tête en sentant qu'elle ne lui caressait plus les oreilles.

  J'ai fait part de mes soupçons – enfin, un terme plus exact serait peut-être "pressentiments" –, selon lesquels le troc avec les indigènes ni même la contrebande ne seraient les seules activités de la planète, à la comtesse Marisa, mais personne sur Manticore ne semble particulièrement inquiet de la situation. » Estelle Matsuko lança un coup d'œil aigu à Honor, qui conserva soigneusement son masque impassible. La comtesse Marisa de la Nouvelle-Kiev était la ministre déléguée aux Affaires médusiennes; elle était également à la tête du Parti libéral.

Dame Estelle toussota ironiquement comme si l'absence d'expression d'Honor confirmait l'opinion qu'elle avait de sa supérieure, puis elle soupira.

« Je suis peut-être paranoïaque, commandant, mais la conclusion me paraît évidente que... certaines parties s'intéressent beaucoup plus à leurs droits commerciaux que la valeur monétaire du commerce lui-même – tant légal qu'illégal – ne saurait le justifier.

  Ces "certaines parties" pourraient-elle comprendre la République de Havre ? demanda Honor à mi-voix, et le commissaire acquiesça.

  Parfaitement. Leur consulat dispose d'un personnel extraordinairement étendu, je trouve, alors qu'il n'a pas besoin, à mon avis, de tant d'attachés commerciaux". Je vous l'accorde, une grosse part de leur trafic passe par le terminus – le tiers occidental de la République est plus proche de Basilic que de l'Étoile de Trévor –, mais ils ne cessent de demander davantage de liberté pour commercer avec les Médusiens. D'ailleurs, officiellement, leur consulat est accrédité auprès d'une des cités-États médusiennes de la région et non auprès du gouvernement de Sa Majesté. Tant le gouvernement que Havre savent qu'il s'agit d'une fiction légale en l'occurrence; j'ai pu les brider avec une relative efficacité jusqu'ici, mais mon sentiment est qu'ils cherchent à multiplier les contacts avec les indigènes, à jouer un rôle plus actif dans la direction que prendront les relations des Médusiens avec les extraplanétaires.

  Pour faire contrepoids à notre présence ?

  Parfaitement ! » répéta Estelle Matsuko d'un ton encore plus enthousiaste. Pour la première fois de l'entretien, un véritable sourire lui détendit les traits, et elle hocha fermement la tête. » À mon avis, ils espèrent que les anti-annexionnistes de chez nous obtiendront gain de cause. Si cela arrivait, Havre serait bien placé pour se faufiler dans la place et asseoir sa propre souveraineté, surtout s'il participait déjà aux affaires indigènes. Dieu sait que les Havriens n'ont pas besoin d'autre motif que celui de s'emparer du terminus, mais ils aiment fournir des "justifications morales" à leur machine de propagande pour leur propre population et la Ligue solarienne. C'est pourquoi ils tiennent tant à leur position officielle selon laquelle les termes de l'Acte d'annexion équivalent à une renonciation unilatérale de notre part à toute revendication légale. Si nous quittons un jour les lieux, ils veulent voir la planète leur tomber entre les mains comme une pomme bien mûre.

  Et vous pensez qu'il n'y a rien d'autre ? la pressa Honor.

  Je... je ne sais pas, répondit lentement le commissaire. Je ne vois pas d'autre avantage pour eux, mais je n'arrive pas non plus à me défaire de l'impression que ce n'est pas tout. Mes collaborateurs et moi surveillons d'aussi près que possible leur consulat et leurs agents, et, de fait, je n'ai jamais rien eu de concret à signaler à la comtesse Marisa; mais il y a quelque chose chez eux – disons une attitude – qui ne me plaît guère. » Elle se secoua et son sourire se fit lugubre. « Naturellement, eux-mêmes ne me plaisent guère et il se peut que cela fausse mes perceptions. »

Honor hocha la tête, puis s'adossa dans son fauteuil et eut une moue pensive. Dame Estelle ne lui semblait pas du genre à sauter aux conclusions, quels que puissent être ses préjugés.

« Pour en revenir à nos moutons, reprit l'intéressée d'un ton plus vif, telle est donc la situation des extraplanétaires sur Méduse. En ce qui concerne les indigènes eux-mêmes, mes agents de l'API sont trop peu nombreux et trop débordés de travail pour me fournir la couverture que je désirerais, mais nos relations avec les Médusiens restent remarquablement bonnes depuis notre arrivée, bien meilleures qu'elles ne le sont d'ordinaire, apparemment, entre deux cultures aussi éloignées. Certains chefs de clan voudraient qu'on lève les restrictions sur les importations technologiques, ce qui crée des tensions, mais dans l'ensemble tout se passe assez bien, surtout avec les cités-États de notre région du delta. Nous avons certes quelques problèmes dans des zones plus lointaines de l'intérieur, mais ce qui m'inquiète le plus en ce moment, ce sont les signes d'augmentation de l'usage de la mekoha chez les Médusiens au cours de l'année écoulée. »

Honor leva les sourcils et dame Estelle haussa les épaules.

« La mekoha est une drogue indigène. Elle est difficile à raffiner, selon les critères locaux, et je n'apprécie pas les effets qu'elle produit sur ses usagers, mais cela n'a rien de nouveau. Je crois que cette histoire me tracasse parce que l'un des premiers symptômes d'une culture aborigène qui s'autodétruit est l'intensification chez ses membres de l'usage de drogues et d'intoxicants, et que je n'ai pas envie de voir les Médusiens suivre cette voie. Mon prédécesseur, le baron Hautetour, et moi-même sommes arrivés à la conclusion que la culture médusienne d'origine est inévitablement condamnée, du fait de notre simple présence et de la tentation technologique que nous apportons avec nous, mais je me plais à penser que nous pourrions la remplacer par un savant mélange de leurs valeurs et d'une technologie plus avancée – sans qu'ils y perdent leur âme, si vous voulez. C'est pourquoi tant le baron que moi-même avons consacré tous nos efforts à maîtriser autant que possible la cadence des changements opérés. C'est aussi pourquoi je suis en colère quand je pense à la quantité d'énergie que je dois distraire de ce but pour surveiller les extraplanétaires, et pourtant cela fait partie du travail de base visant à éviter la destruction de l'intégrité culturelle des Médusiens.

  Par conséquent, la mission principale que vous voudriez me confier serait de vous aider à gérer les allées et venues entre les enclaves et la circulation orbitale ?

  C'est tout à fait cela, acquiesça dame Estelle. T'aimerais pouvoir compter sur vos troupes de fusiliers en cas d'urgence au sol, mais, comme je vous l'ai dit, nous avons relativement peu de problèmes pour l'instant. Si vous pouviez vous occuper de l'inspection des navettes orbite-surface et du contrôle général du trafic, cela déchargerait une bonne partie du personnel de l’API.

  Comment ? Young n'avait même pas... ? » Honor referma la bouche avant d'en dire davantage, et le commissaire toussota derrière sa main pour dissimuler un éclat de rire.

« Très bien, commissaire, je pense que nous pouvons nous en charger. Donnez-moi un jour ou deux pour mettre les détails au point et je placerai deux cotres en réserve permanente pour l'inspection des navettes. Si vous pouvez me prêter les agents qui s'en occupent de votre côté, cela me permettra de connaître leurs idées avant d'organiser notre travail.

  Accordé, répondit aussitôt dame Estelle.

  J'aimerais aussi disposer d'une sorte d'officier de liaison permanent, poursuivit Honor, l'air méditatif. J'ai dû détacher presque dix pour cent de mon personnel pour fournir des équipes de douane et de sécurité au Centre de contrôle de Basilic (elle ne fit pas attention à l'expression surprise du commissaire) et je me retrouve avec moins de monde que je n'aime à y penser; et je suppose que cela empirera lorsque nous commencerons le filtrage et l'inspection du trafic des navettes. Auriez-vous quelqu'un que vous pourriez affecter chez moi pour établir la coordination avec votre bureau ?

  Non seulement je peux vous fournir un officier de liaison, commandant, mais je serai ravie de le faire ! Et je crois avoir l'homme qu'il vous faut : le major Barney Isvarian est le doyen de mes agents de l’API sur le terrain, mais il était sergent chez les fusiliers avant de prendre sa retraite et d'entrer dans mes services. Je ne voudrais pas le savoir hors planète trop longtemps, mais je peux tout à fait vous le prêter pour quelques jours. C'est un homme bien, c'est un spécialiste des affaires médusiennes et il travaille avec nous à l'inspection des navettes. Qu'en pensez-vous ?

  Cela me paraît parfait, commissaire », répondit Honor avec un sourire. Elle se leva et tendit la main tandis que Nimitz se coulait à nouveau vers son épaule. « Merci. Et merci aussi pour votre exposé de la situation. Je n'abuserai pas davantage de votre temps, mais n'ayez aucun scrupule à m'appeler si je puis faire quelque chose pour vous ou si vous pensez devoir m'informer de tel ou tel élément.

  Je n'y manquerai pas, commandant. » Dame Estelle se leva elle aussi pour lui serrer la main et ses yeux avaient une expression chaleureuse. « Et merci à vous. » Elle ne précisa pas de quoi elle la remerciait et Honor réprima un sourire ironique.

Le commissaire fit le tour de son bureau pour la raccompagner à la porte et lui serra une dernière fois la main. La porte se referma derrière Honor et dame Estelle regagna son fauteuil, une expression troublée sur le visage. Elle s'assit et enfonça un bouton sur son panneau de communication.

« George, trouvez-moi Barney Isvarian, voulez-vous ? J'ai un nouveau travail pour lui.

  Oui, répondit son assistant de direction, laconique, puis, après un silence : Comment ça s'est passé, patronne ?

  Ça s'est bien passé, George. Je trouve même que ça s'est très bien passé », fit dame Estelle, et elle relâcha le bouton avec un sourire.




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